Interdépendance des arts et des êtres – Entrevue avec Andréane Leclerc

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Andréane Leclerc - Photo : Christian Leduc
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Neil Sochasky dans "À l'Est de Nod" - Photo : Christian Leduc
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Neil Sochasky dans "À l'Est de Nod" - Photo : Christian Leduc
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Neil Sochasky dans "À l'Est de Nod" - Photo : Christian Leduc
27 novembre 2023,

Françoise Boudreault

La première création de Nadère arts vivants, le solo Cherepaka était interprété par Andréane Leclerc, contorsionniste de métier et cofondatrice de la compagnie avec Geoffroy Faribault en 2013. Les œuvres de Nadère arts vivants ont été présentées par la suite à Chicago, à Florence, au Caire, à Sao Paolo, à Tokyo et à Montréal. Mentionnons que la musique originale pour The Whore of Babylon a fait l’objet d’une collaboration et d’un album avec le groupe londonien The Tiger Lillies. Andréane offre des ateliers de contorsion et de dramaturgies interdisciplinaires et agit également comme conseillère artistique ou interprète pour divers projets internationaux. En plus d’une réflexion sur la contorsion comme posture philosophique, sa pratique artistique est marquée par l’audace et la détermination

Installation performative, À l’Est de Nod a été présentée à Rouyn et aussi en Arménie, en Argentine et au Mexique. Fin septembre 2023, on a vu au Théâtre Desjardins de Repentigny les trois temps de cette œuvre : Le Forêt, L’Errante et L’Abîme. Les spectateurs étaient invités à se déplacer dans les trois espaces qui se côtoyaient dans le vaste théâtre spécialement aménagé pour l’occasion. Andréane Leclerc décrit son processus de création : « C’est un gros projet qui questionne les limites et les délimitations ainsi que l’espace de performance et de jugement. Pour écrire la pièce, j’aspire à un corps nature, un corps de non jugement qui ouvre sur ses relations d’interdépendance et non de codépendance. En proposant cet espace de production et de création, le projet révèle, chaque fois qu’on joue, les failles du système, tout dépendant des contextes. On crée un système pour avoir une bonne entente et mieux travailler ensemble comme êtres sociaux. Mais peu importe où l’on va, les inégalités sociales ou mondiales sont réelles et injustes. Impossible d’avoir un a priori quand tu veux travailler avec un système d’interdépendance. J’ai l’impression que c’est une évidence, mais à chaque fois, cette pièce le révèle et ça touche les droits d’auteur, la hiérarchie avec le chorégraphe, la place de la production dans une pièce de création, le financement, la corruption, la colonisation, le système de langage, l’identité. »

L’atelier de création pour la première pièce – La Forêt – a eu lieu en avril 2017. La compagnie désirait présenter enfin à Montréal les trois volets de ce triptyque, mais comme elle n’a pas reçu la subvention demandée au Conseil des arts et des lettres du Québec, il a fallu choisir de réduire au minimum le déficit occasionné par ce refus. Le solo L’Abîme, troisième temps de À l’Est de Nod, fera donc l’objet de trois représentations, les 29 et 30 novembre à partir de 19 h et le 2 décembre à partir de 15 h à La Chapelle Scènes Contemporaines, partenaire avec lequel il est question de diffuser cette production depuis 2019. Rappelons que Nadère arts vivants a créé le duo Sang Bleu à La Chapelle Scènes Contemporaines en 2018 et que depuis ce temps, COVID oblige, la compagnie n’a pas joué à Montréal.

Avec À l’Est de Nod, Nadère arts vivants a réalisé une œuvre d’envergure qui amalgame la danse et le travail de mouvement, une conception sonore qui utilise une interface pour créer un environnement de façon aléatoire et une scénographie à travers laquelle se déplacent les spectatrices et spectateurs. « À l’Est de Nod adopte une méthodologie transdisciplinaire basée sur des principes de Basarab Nicolescu dans son Manifeste de la transdisciplinarité » précise Andréane. Avec L’Abîme, le public est convié à vivre une expérience en présentiel, parfois ressentie comme déstabilisante, mais il choisit d’entrer dans la salle et d’en ressortir aux moments de son choix.

Proposition inusitée, L’Abîme utilise le corps comme guide, comme espace de connaissance ; les cellules du corps humain ont une mémoire qui participe à notre conscience. L’Abîme est une méditation sur la solitude en relation avec espace beaucoup plus grand que nous. En plus des rapports de force et d’énergie, la dramaturgie de ce solo s’est intéressée à des phénomènes comme l’expansion de l’univers, la matière noire, les trous noirs, le mouvement des dunes, des plaques tectoniques ou du magma et, à l’opposé, les ouragans, les tsunamis, les volcans.

La performance commence avant que le spectateur entre. Andréane Leclerc commente un des aspects du travail de l’interprète : « C’est ce qui trouble le plus, être en performance pendant 4 heures sans l’angoisse temporelle de la durée, pour ne pas être dans un espace de performance où tu épuises les ressources. Comment à travers la durée on peut se régénérer et renaître constamment, sortir énergisé·e et non pas épuisé·e. Cela nécessite un lâcher prise sur le temps qui est solaire, un temps patriarcal, un temps de performance et de performativité, pour entrer dans des temps cycliques de régénérescence. »

À l’Est de Nod se déploie dans une installation performative qui ouvre sur d’autres codes. Le soleil se lève à l’Est, promesse de nouveaux horizons. Troisième temps d’un triptyque hors du commun, L’Abîme est une expérience à vivre et induit la sensation autant que la réflexion.