Françoise Boudreault
Depuis son premier spectacle éponyme, la Québécoise Machine de cirque a fait du chemin. Établie dans le quartier de Limoilou, la compagnie compte plusieurs productions à son actif. La Galerie, Changes et Machine de cirque tournent en Europe tandis que Robot infidèle fait son chemin au Québec, que Kintsugi franchit les dernières étapes de sa création et que Grand-Mess’ propose une expérience inédite aux spectateurs depuis le 31 janvier. Basée dans l’église Saint-Charles-de-Limoilou, Machine de cirque célèbre sa première décennie avec une création dans un lieu majestueux, empreint d’histoire et de solennité, avec un maître-autel spectaculaire et une architecture néo romane que côtoient les structures des aménagements pour les appareils circassiens et la scénographie de cette Grand-Mess’ festive.
Pour cette création anniversaire, Machine de cirque a fait appel au metteur en scène Martin Genest, familier avec le monde du cirque et les productions à grand déploiement. Tout autant d’ailleurs que pour des formes plus intimistes comme Mémoires d’un volcan de l’Ubus théâtre, à l’affiche du festival Casteliers début mars, soit dit en passant. En plus de ses contributions théâtrales, marionnettiques et opératiques, il a mis en scène des spectacles comme Joya pour le Cirque du Soleil, et Féria de FLIP Fabrique.
Martin Genest travaille pour une première fois avec Machine de cirque : « Même si comme metteur en scène on a tous un peu notre couleur, on a envie de se fondre à la mission artistique d’une compagnie. Avec Machine de cirque, les membres de la troupe ont un grand souci du sens des choses. L’artiste fait davantage que sa performance, il se demande pourquoi il est là, ce que signifient ses actions dans le contexte ; il questionne. Cela amène une richesse. On trouve des liens. Ce rapport à la dramaturgie a eu des résonances avec ma façon de travailler. Autour de la table, j’ai apprécié les échanges d’idées avec ces artistes créateurs et concepteurs. »
Il y a un rapace dans le spectacle, une buse qui s’appelle Ness, dressée par Marie-Claude Bouillon de Luna Caballera. D’où vient l’idée d’un oiseau dans Grand-Mess’ ?
« Au départ je voulais un âne. J’ai découvert récemment que l’animal revient au cirque. J’ai vu la compagnie française Baro d’Evel faire un numéro avec un duo corbeau-humain. C’est magnifique la rencontre entre les deux. La présence de l’animal dans Grand-Mess’ a évolué avec le temps. On à pensé à un chien, mais je n’avais pas envie qu’il fasse des pirouettes. J’ai rencontré Marie-Claude Bouillon qui a des chevaux, mais elle élève aussi une buse et ça m’a rappelé les images de Baro d’Evel. On a réalisé que dans l’église, l’oiseau a accès aux hauteurs et devient encore plus céleste. Le symbole est devenu fort. Dans la pratique, ça demande beaucoup d’entraînement pour arriver à une performance avec un oiseau et un artiste ; il doivent littéralement s’apprivoiser avec des entraînements quotidiens pour développer une complicité. Ness est devenue un symbole et c’est intéressant de voir un grand oiseau qui vole quelques fois pendant le spectacle. J’avoue que j’aurais aimé aller plus loin, l’intégrer dans une performance, mais cela nécessite des mois, voire des années.
Une création particulière dans un lieu particulier.
Au Québec, plusieurs compagnies et projets de cirque habitent des églises. Dans Limoilou, l’École de cirque de Québec évolue depuis 2003 dans l’ancienne église Saint-Esprit. Le Monastère produit ses Cabarets dans l’église du Centre St Jax de Montréal, la Compagnie des autres occupe l’église Saint-Enfant-Jésus à Pointe-aux-Trembles où se tiennent notamment des résidences de création circassiennes et aux Îles de la Madeleine, Jeannot Painchaud du Cirque Éloize transforme actuellement l’église Notre-Dame-de-la-Visitation de Havre Aubert en pôle culturel qui accueillera, entre autres, des spectacles de cirque.
Une église est un lieu chargé qui rassemble et qui marque pour ses fidèles les grandes étapes de la vie au rythme de la religion. Espace sacré, avec celle de l’encens comme odeur de sainteté, le son y résonne de façon caractéristique, avec un léger écho ; la voix des chorales s’y épanouit avec celle des orgues et les vociférations des pourfendeurs du péché s’y répercutent sur un ton moralisateur. En dehors des rituels religieux, une église accueille dans son silence bienveillant toute personne qui la visite pour y réfléchir, prier ou rêver en paix. Les architectures de la plupart des églises procurent une sensation qu’on ressent physiquement quand on arrive dans leurs espaces.
Martin Genest a été impressionné par le lieu : « Travailler dans l’église Saint-Charles-de-Limoilou ne m’arrivera probablement plus jamais. Mon père a été baptisé dans cette église dont l’histoire est très proche de moi ; il venait à la messe ici. Ça donnait des frissons de sentir toute cette histoire. Et cela m’a à la fois inspiré et dicté des choix. L’église est un lieu imposant. Quand on y entre, on est envahi par un sentiment pour lequel le dramaturge Jean-Philippe Lehoux a trouvé un mot magnifique : numineux. » Le mot « numineux » induit le mystère et un phénomène souvent relié au divin, difficile à expliquer rationnellement. Le qualificatif désigne une « force indicible, surnaturelle, qui produit une impression, une sensation directe sur le conscient1 ». Cette Grand-Mess’ a été créée dans un esprit très particulier dont témoignent les 14 interprètes avec une douce folie.
Le public est convié à une expérience festive et rassembleuse en trois volets. Il déambulera d’abord à sa guise en explorant les lieux. Il verra ensuite des acrobates tomber du ciel et se demander pourquoi ils viennent de là. Grand-Mess’ propose des performances musicales et circassiennes, dont un numéro inédit d’échelles en groupe et de la suspension capillaire. Après le spectacle, le public peut profiter encore de l’ambiance de cet espace rare avec musique et danse pour terminer la soirée selon son humeur.
Avec cette Grand-Mess’ d’envergure qui convoque le divin autant que le chaos, Machine de cirque fête ses 10 ans en grand. Alléluia !