Françoise Boudreault
Parmi les spectacles de cirque offerts à l’extérieur en hiver au Québec, L’Hiver à l’envers se distingue par une proposition qui amène le public loin des milieux urbains. Avec un ressenti de – 24 C le premier samedi (- 14 C la semaine suivante, le 8 février), Patrick Léonard et ses acolytes ont vécu avec intensité la deuxième édition de leur événement de cirque hivernal créé dans la Forêt Ô Cascades de Rawdon. Pour contribuer à un tel projet, on peut dire que les artistes sont un peu givrés…
L’Hiver à l’envers prend ses ancrages dans le territoire boréal. Le temps d’une soirée à la fois glaciale et pleine de chaleur, le cirque habite l’hiver dans la nature, toute de blanc parée. Dans la clairière d’accueil avec mobilier de glace et bancs de bois, on trouve à boire et à manger, des braseros, un pont d’accrochage pour l’aérien et un bar surélevé qui sert aussi de scène. C’est de là que le déambulatoire débute : un animateur avec du frimas dans la barbe nous souhaite la bienvenue la tête en bas, suspendu par les pieds. Puis, les spectatrices et spectateurs, qui ont revêtu leurs parkas, leurs bottes polaires et attaché leurs tuques avec des mousquetons, marchent sous les conifères avec leurs flambeaux qui illuminent les sentiers menant aux sites des présentations.
Contrairement à la noirceur d’une salle de spectacle, la neige contient sa propre lumière, même la nuit, et joue avec celle qu’on lui envoie. Les conditions hivernales inspirent des tableaux avec des installations qui magnifient notre climat rigoureux : des perles dans un écrin blanc. Ainsi, avec une maison de glace à proximité, Marie-Ève Dicaire et Nicolas Germaine mêlent de jolie manière équilibres sur cannes ou au sol et jonglerie, avec des balles de caoutchouc ou de neige, le tout en finesse avec la musique en direct.
Devant un lac qu’on devine en arrière plan dans la nuit, sur une surface circulaire glacée, Bobby Cookson évolue avec sa roue Cyr sans déraper. L’appareil a été modifié pour cette création adaptée au froid qui sculpte l’acrobatie de façon inusitée avec son éclairage sous ce petit étang gelé. Pendant la soirée, on a aussi vu des sangles aériennes, des cracheur·euse·s de feu, une chorale, un duo au trapèze fixe ainsi que des portés et pyramides en famille avec des enfants qui nous parlent du futur. Le concept de l’événement est d’avoir lieu, peu importe la météo. « L’an passé, il y a eu la lune et un ciel dégagé, complètement étoilé. La température change tout et chaque fois c’est quelque chose de magnifique » dit Patrick Léonard, figure de proue de L’Hiver à l’envers et cofondateur des 7 Doigts. Mentionnons que parmi les collaborateurs de cette célébration climatique, on retrouve Guillaume Saladin, partenaire de longue date de Léonard et fondateur d’Artcirq à Igloolik, qui en connaît un brin sur le cirque pratiqué en territoire de froidure.
Quand la forêt d’hiver se fiance avec le cirque, la force et la beauté de la nature rehaussent la poésie du langage acrobatique. Le froid ajoute sa touche et révèle des choses habituellement invisibles, la respiration des acrobates par exemple. Comme on l’a vu dans un clip qui a circulé sur les réseaux, le souffle des trapézistes Marie Lebot et Corentin Lemaître Auger devient des petits nuages éphémères qui s’évaporent dans l’atmosphère. Même les applaudissements sont de saison, feutrés par les gants et mitaines des spectateurs.
L’Hiver à l’envers est au bon endroit et l’initiative vaut le déplacement comme l’ont prouvé les personnes présentes en grand nombre dans la Forêt Ô Cascades de Rawdon. D’autres événements circassiens sont à surveiller dans ce lieu pour une expérience artistique unique, peu importe la saison.
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Photos de Gael Della Valle www.desboutsdumonde.photo