De Maputo à Montréal – Entrevue avec Thomas Guérineau et Prime Ezinse de « Maputo Mozambique »

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Mariam Diakité, Djenebou Fane et Joaquim Sitoë dans "Maputo Mozambique" de la Compagnie Thomas Guérineau - Photo JF Savaria
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Prime Ezinse dans "Maputo Mozambique" de la Compagnie Thomas Guérineau - Photo JF Savaria
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Mariam Diakité et Djenebou Fane dans "Maputo Mozambique" de la Compagnie Thomas Guérineau - Photo JF Savaria
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José Joaquim Sitoë dans "Maputo Mozambique" de la Compagnie Thomas Guérineau - Photo Pascal Bouclier
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Prime Ezinse, Mariam Diakité, Djenebou Fane et Joaquim Sitoë Djenebou dans "Maputo Mozambique" de la Compagnie Thomas Guérineau - Photo JF Savaria
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Joaquim Sitoë, Djenebou Fane, Mariam Diakité et Prime Ezinse dans "Maputo Mozambique" de la Compagnie Thomas Guérineau - Photo JF Savaria
23 février 2025,

Françoise Boudreault

En ce mois de l’histoire des Noirs, la TOHU a programmé Maputo Mozambique de la Compagnie Thomas Guérineau qui nous fait connaître un univers sonore et gestuel comme on en entend et on en voit peu. Cette création originale qui fait interagir balles, tambours, quilles, chant, objets volants sonores et des sacs plastiques orange avec un son et une couleur très présents, met en scène deux femmes et deux hommes d’origine africaine. Le son acoustique et l’éclairage sobre nous font apprécier une simplicité qui donne cependant lieu à des partitions complexes que les interprètes exécutent avec brio. Un choix pertinent qui propose au public une forme où le cirque n’est pas le seul maître à bord.

L’histoire de Maputo Mozambique débute en 2011 par une formation en jonglage à Maputo après laquelle le talent des Mozambicain·e·s inspire la création du spectacle sous la gouverne de Thomas Guérineau. Directeur artistique de la Compagnie Thomas Guérineau, ce dernier a réalisé plusieurs spectacles dont le plus récent, avec six Maliennes en 2024 : Basketteuses de Bamako.

« Une chose répond à l’autre ou se poursuit dans l’autre. »

Thomas Guérineau a grandi dans un village très campagnard, en Sarthe et a connu enfant les cirques traditionnels avec leurs chapiteaux emblématiques qui tournaient en France. Il voyait aussi du cirque à la télé, très regardée à l’époque. S’il a débuté seul sa pratique de la jonglerie à 15 ans, c’est dans la vingtaine qu’il se forme au cirque : « Dans les années 90, j’ai commencé par faire une école de cirque à Paris, l’ancêtre de l’actuelle Académie Fratellini1. J’ai appris le jonglage, la danse, le fil, je me suis mis à la musique et j’ai eu un déclic avec le corps, la danse, l’expression corporelle. J’ai eu une sorte de rêverie de jongler, de danser, de faire de la musique et de la percussion en même temps. » Mais avant d’en arriver à sa pratique actuelle, Guérineau à fait des expérimentations intéressantes : « Petit à petit, j’ai commencé à travailler avec des sacs plastiques qui ont un aspect sonore très présent. J’ai travaillé sur des percussions comme sur cette timbale d’orchestre que j’explore depuis 20 ans. J’ai une approche plutôt phénoménologique. À force d’expérimenter autour de la sensation d’attraper un objet, de le frapper, de le faire rebondir, de sortir un son avec ma bouche, un geste s’accroche en moi, un son de voix, de percussion ou d’un objet et tout d’un coup je sens qu’il y a quelque chose qui s’assemble. »

Le parcours du créateur Thomas Guérineau est animé par une recherche et une écriture qui fusionne jonglerie, manipulation, percussion, chant et danse pour des oeuvres de jonglage musical. « J’aime bien dire que je compose des spectacles grain par grain. Ça ne m’est pas tombé sur la tête un beau matin. Au fur et à mesure de mes expérimentations, je me suis retrouvé à composer mes spectacles avec ces éléments et c’est ce que je sais faire aujourd’hui, mais ça a pris beaucoup de temps. »

Depuis sa présentation au festival Africolor en 2013, Maputo Mozambique a été diffusé en France et à l’étranger dans une version à six interprètes et continue ses tournées à quatre interprètes. Le spectacle évolue constamment. José Joaquim Sitoë est le seul membre de la distribution présent depuis le début. Avant Montréal, La Compagnie Thomas Guérineau a joué à Winnipeg puis à Ottawa. Thomas Guérineau parle de l’évolution de la création « À la fin de la tournée au Canada on arrivera à 300 représentations de ce spectacle créé en décembre 2013 et qui a 11 ans d’exploitation. Jouer autant de fois un spectacle permet de le faire évoluer. Les artistes de scène savent qu’il n’y a pas deux représentations pareilles alors je les fais retravailler. J’enlève des choses qui fonctionnaient au début mais qui ne fonctionnent plus, d’autres apparaissent… Je les fais toujours avancer à partir de ce que je vois vers ce que je veux. Par exemple, avec Prime comme nouvel interprète, ça donne des opportunités, de nouvelles appréhensions artistiques, de nouvelles manières de lui faire apprendre la pièce, c’est très enrichissant pour moi. »

De Cotonou à Maputo

Prime Ezinse a connu le cirque par la télé et des amis : « Le plus grand cabaret du monde passait sur le chaîne nationale. J’ai d’abord vu le cirque à partir de cette émission. J’avais des copains qui faisaient de l’acrobatie et l’envie m’est venue aussi de là… Il n’y avait pas de salles de gym, mais on avait la plage pour pratiquer l’acrobatie. » Son parcours d’acrobate a commencé jeune. « Depuis tout petit, j’étais passionné par ce qui est un peu risqué. Je faisais beaucoup de sport, le saut en hauteur surtout. Dans les rues de Cotonou, j’ai rencontré des acrobates, ça me plaisait et j’ai commencé l’acrobatie. En évoluant avec une association qui s’appelle Les super acrobates de Cotonou j’ai découvert les autres agrès circassiens, la jonglerie et tout ce qui va avec. J’ai intégré le cirque et je suis devenu passionné de la chose. Puis, j’ai décidé de mettre mes autres formations au service des arts du cirque et je formalise l’obtention d’un diplôme de formateur. »

Il a rejoint la distribution de Maputo-Mozambique depuis deux ans. Béninois originaire de Cotonou, il est en partie autodidacte. « J’ai eu d’abord une formation au Bénin, j’ai aussi utilisé des tutoriels pour apprendre la jonglerie et d’autres agrès de cirque. Pour la reprise de rôle dans Maputo Mozambique, j’ai fait quelques jours de stages avec Thomas à Paris et après, je travaille depuis Cotonou, je lui envoie des vidéos, je reçois des retours et à chaque fois qu’on a l’occasion de se retrouver dans un pays, on fait quelques moments de workshop. »

Dans Maputo Mozambique, les interprètes travaillent simultanément à plusieurs niveaux. Prime Ezinse, José Joaquim Sitoë, Mariam Diakite et Djenebou Fane exécutent des partitions rythmiques et musicales complexes avec les balles, les quilles et les objets lancés pour produire le son. Le chant tient une place importante. Autre défi pour les interprètes : la lumière sur scène donne lieu à de belles images en clair obscur et les éclairages changeants, parfois sombres ou avec des ombres, exigent une acuité sensorielle et visuelle, particulièrement avec les balles.

Une décennie de tournées

Maputo Mozambique est diffusé dans des milieux de cirque comme la TOHU mais convient également à des événements et lieux de musique, de danse et s’adresse à tous les publics. Thomas Guérineau accompagne le spectacle depuis le début. « Les moments les plus marquants, c’est quand je sens des gens qui viennent me voir ont un peu la tête retournée. Tout est en acoustique. Ils sont aussi déstabilisés parce que d’habitude il y a un chanteur et à côté, un danseur ou un jongleur… Dans Maputo Mozambique, les éléments se mêlent, s’interpénètrent. À Winnipeg, une journaliste a vu le spectacle et m’a dit qu’elle n’avait jamais vu quelque chose comme ça. Des professionnels me disent que je suis le seul à faire ce genre de composition. Ils sont bouleversés parce qu’ils voient pour la première fois ce type de mélange, d’assemblage, de jeu entre les corps, les objets, les sons, avec les nuances qui y sont mises. Ça vaut aussi pour d’autres pièces de la compagnie. »

De son côté, Prime Ezinse a vu le spectacle bien avant d’en devenir un interprète. « Je faisais partie du public quand Maputo Mozambique est passé à Cotonou il y a 10 ans. J’étais d’abord impressionné, sidéré par l’utilisation du matériel de jonglerie sur des tambours pour faire du son. Wow ! À ce moment-là, j’avais imaginé jouer dans ce spectacle et un jour ça s’est fait ! » Il est lui aussi particulièrement touché par les retours du public : « La première fois que j’ai été interprète dans Maputo Mozambique, à la fin du spectacle, une dame nous a dit : « Les sachets plastiques, on les utilise à la maison, mais jamais on imagine qu’on peut faire autant de choses avec. Désormais, je les verrai autrement. » J’ai médité plusieurs fois là-dessus. Tout ce qu’il y a autour de nous peut servir, on peut détourner du matériel : les cuillères ne sont plus cuillères, les fourchettes ne sont plus fourchettes, même le lit, peut-être, n’est plus lit… À Winnipeg, un Béninois a dit : « Avec les sachets de plastique, moi j’entends des bruits de vague ». Le spectacle se laisse voir comme une œuvre contemporaine que chaque personne interprète à sa manière. »

Maputo Mozambique nous amène loin des superlatifs et d’un certain tapage parfois présents au cirque. Avec la jonglerie, le propos ici n’est pas d’augmenter le nombre de balles ou de quille et de valoriser le haut niveau technique ; la prouesse consiste plutôt à l’utiliser pour jouer de la polyrythmie et produire des cadences et des pulsations avec une gestuelle évolutive. Le son acoustique apaisant et le corps, avec sa voix et ses actions, sont au centre de Maputo Mozambique pour nous faire découvrir une région insoupçonnée du vaste territoire artistique de l’humanité.

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1 L’École nationale de cirque Annie Fratellini à l’époque.