Françoise Boudreault
En ce verdoyant mois de juin, le printemps circassien québécois s’achève avec les spectacles des diplômés des écoles de formation supérieure en cirque ou des élèves dans le domaine récréatif. Dans l’ancienne église Saint-Esprit, l’École de cirque de Québec présentait les 15 finissants du DEC dans Les Nuits seront longues, mis en scène par Olivier Lépine. L’École nationale de cirque de Montréal produisait à la TOHU L’Antre deux où les 28 élèves de la cohorte 2025 étaient dirigés par Nicolas Boivin-Gravel. Excellents spectacles, pleins de talents et d’inventivité, sur un scène bi-frontale dans les deux cas.
Le cirque navigue et s’épanouit sur les rives du fleuve Saint-Laurent. Dans le parc portuaire de Trois-Rivières, on a entendu et vu écH2Osystème de Geneviève Dupéré, un hommage vibrant à la vie maritime. En amont, dans le Vieux Port de la métropole, la lumière et la pluie font le beau temps sous le chapiteau de Luzia du Cirque du Soleil.
écH2Osystème – Cirque fluvial géant
Avec un quai, le fleuve Saint-Laurent et le ciel comme scénographie, écH2Osystème débutait dans le parc portuaire de Trois-Rivières le 3 juin dernier. Pour cet aboutissement grandiose d’un processus créatif et d’une thèse de doctorat amorcés en 2017, Geneviève Dupéré a sillonné notre majestueux fleuve et ses rives, à la rencontre de ceux et celles qui vivent au quotidien le transport maritime, les pêcheries ou qui scrutent la faune aquatique, les végétaux marins et plus encore. Cette réalisation géante témoigne du travail de plusieurs équipes de chercheuses et chercheurs qui étudient une route maritime névralgique depuis bien avant l’arrivée des européens.
Geneviève Dupéré a bénéficié de l’expertise d’ingénieurs pour la construction du O, qu’une grue fait se déplacer en hauteur et pose à divers endroits sur le quai. Ce colossal appareil aérien a été conçu pour y intégrer une roue Cyr et ses composantes réfèrent à des codes maritimes. Tout au long du spectacle, s’y accrochent des sangles aériennes, une roue Cyr, des câbles pour de la danse verticale, des bungees, des filets. Le O sert également de plateau pour des scènes où sont manipulés des marionnettes de poissons, des bateaux miniatures et autres objets illustrant certains tableaux. À lui seul, le ballet de la grue accordé aux signes que lui fait la régisseuse pendant que O s’élève et se déplace dans les airs est fascinant.
Au service de la science, le cirque documentaire d’écH2Osystème parle, entre autres, du contenu d’une étude sur les algues, d’une autre sur la mortalité de jeunes femelles béluga quand elles mettent bas, du moment où il y a un changement de pilote sur un navire qui passe par le Saint-Laurent ou du canot sur glace, un sport inusité fort populaire. Le déroulement des tableaux fait écho au montage sonore riche et rythmé qui fait entendre des travailleurs et des experts du fleuve avec les sons de leur environnement : moteurs, vent, voix sur les ondes radio, cris d’oiseaux, vagues, cornes de brume, et j’en passe…
Dans l’équipage d’écH2Osystème on retrouve un grutier, un technicien, une régisseuse et six artistes de cirque multitâches opérant pendant les 90 minutes de la représentation. Bravissimo à Clémence de Lucas, Jean-Philippe Cuerrier, Christelle Vitupier, Paskale Martin, Polina Shubina, Clara Laurent, Joaquin Barral, Daphnée Sergerie pour leur contribution essentielle au projet et respect à la timonière émérite, Geneviève Dupéré, que l’eau inspire si bellement.
Avec le fleuve comme fond de scène, l’eau qui coule, les bateaux qui passent, les oiseaux qui traversent le ciel, la verdure de la rive d’en face, le spectacle est marquant et unique en son genre. La dimension didactique du spectacle enrichit la forme et son intégration à un environnement urbain aménagé pour accueillir le public se fait harmonieusement. Prêtant voix et corps au cours d’eau le plus important de notre province, écH2Osystème vaut assurément le déplacement
Luzia – Pluie sous chapiteau
Remontons le fleuve jusque dans le Vieux port de Montréal où le chapiteau du Cirque du Soleil présente Luzia jusqu’au 24 août. Créé en 2016 par Daniele Finzi Pasca et Brigitte Poupart, Luzia s’inspire de la culture mexicaine avec son titre évoquant la lumière (luz) et la pluie (lluvia). Dans un jardin visité par des colibris, le très beau numéro d’ouverture utilise un système de tapis roulant avec des cerceaux chinois. Juste après, le ballet de la roue Cyr avec le trapèze danse amène la pluie sur le plateau.
L’expérience sous chapiteau fait partie de la signature initiale du Cirque du Soleil. Elle inclut une proximité plus intéressante qu’en aréna et amène une machinerie scénique ingénieuse, autre point fort de la compagnie quarantenaire. L’expertise en ingénierie scénique du Cirque du Soleil est mise à profit tout au long de Luzia, particulièrement sur la piste et au-dessus avec un mur d’eau sur lequel se dessinent des formes mouvantes.
Les arts de la marionnette ajoutent une poésie onirique à Luzia. Le tableau oasien avec l’acrobate aux sangles aériennes et le cougar ou le cheval grandeur nature avec la femme aux immenses ailes de monarque constituent des éléments forts de l’imagerie du spectacle. Les acrobates triés sur le volet accomplissent tous de solides performances et certain·e·s font partie de la distribution depuis le début. C’est le cas du contorsionniste Aleksei Goloborodko dont le numéro ne laisse personne indifférent avec des figures rares que son extrême flexibilité lui permet. La scène finale – très Finzipascaïenne – réunit tous les artistes autour d’une table et laisse les spectateurs·trices sur des images festives.
Sous chapiteau, le Cirque du Soleil assure toujours un cirque haut de gamme avec des acrobates et artistes exceptionnels, une équipe des concepteurs chevronnés, des effets scéniques sensationnels, le confort du public et même des produits dérivés conçus spécialement pour chaque spectacle. Bref, une expérience basée sur l’excellence acrobatique autant que sur ce qui l’entoure et le met en valeur.