Drôle d’oiseau – Première fois en piste

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Guillaume Poliquin, Tuedon Ariri, Arthur Morel Van Fyfe et Mateo Marera dans "Moires" au Parc des Rapides - Photo festival Drôle d'oiseau
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Le collectif People Watching dans "Play Dead" - Photo Alexandre Galliez
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Gypsy Snider, animatrice de "Murmure" - Photo festival Drôle d'oiseau
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Anna Kichtchenko dans "Murmure" - Photo festival Drôle d'oiseau
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Alexandra Royer au cerceau aérien dans "Murmure" - Photo festival Drôle d'oiseau
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Natasha Patterson et Sabine Van Rensburg dans "Murmure" - Photo festival Drôle d'oiseau
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Isabella Majzun dans "Nid d'oiseau" de La Croustade - Photo festival Drôle d'oiseau
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Ruben Ingerwen et Guillaume Larouche à la planche coréenne dans "Nid d'oiseau" - Photo festival Drôle d'oiseau
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Marton Maderspach, Evelyne Laforest et Stéphane Gentilini dans "En s'attendant" - Photo festival Drôle d'oiseau
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Pauline Baud, Frédéric Lemieux-Cormier et Nemo Venba dans "La Crinoline aux chapeaux" - Photo festival Drôle d'oiseau
12 septembre 2024,

Françoise Boudreault

L’expression « drôle d’oiseau » s’applique bien aux artistes en général mais encore mieux aux circassiens en particulier. Avec son nom évoquant une certaine singularité, le premier festival Drôle d’oiseau a cependant offert six spectacles à l’image des multiples formes du cirque contemporain québécois. L’excellente programmation, concoctée par Maxim Laurin, mettait à l’affiche des compagnies et artistes de premier plan dans la belle salle du Théâtre Desjardins, situé au Cégep André-Laurendeau, dans l’arrondissement de LaSalle. Une exposition des circassiens Arthur Morel Van Fyfe, Pablo Pramparo et Brin Schoellkopf se tenait dans le hall de la salle.

Melkior a ouvert le festival vendredi, en début de soirée, avec un spectacle gratuit à l’extérieur, dans le Parc des Rapides. Les acrobates Tuedon Ariri, Arthur Morel Van Fyfe et Guillaume Poliquin, accompagnés par le musicien Mateo Marera présentaient Moires en première au Festival Drôle d’oiseau. Cette création s’appuie sur une dramaturgie inspirée par les divinités grecques du destin et l’esthétique de la pièce intègre des appareils conçus par Arthur Morel Van Fyfe.

Le collectif People Watching a donné son coup d’aile le soir avec Play Dead, une création fougueuse et chaudement applaudie, avec raison, partout où elle est passée. Avec sa théâtralité teintée d’absurde et d’étrangeté, Play Dead est un maelstrom d’envolées et de chorégraphies acrobatiques d’une grande fluidité qui tiennent l’assistance en haleine. Les six membres du collectif ont tous une forte présence scénique et leurs trouvailles circassiennes prouvent une vitalité créative qui relève autant d’un savoir faire artistique que d’une culture contemporaine originale. Moment inoubliable du spectacle : sur la musique du Concerto pour piano No.1 de Tchaïkovski, les acrobates s’entrecroisent dans une cascade de cascades sous l’éclairage mouvant d’une lampe suspendue qui balance. En passant, cette création à haute intensité figure à la programmation de CINARS, le 14 novembre prochain.

Murmure – Cirque intimiste

Animé par Gypsy Snider, le premier volet de la soirée de samedi présentait trois pièces de femmes ; deux solos et un duo. D’une voix calme aux intonations presque confidentielles, la metteure en scène réputée et cofondatrice des 7 Doigts, une femme d’expérience, fait des liens entre les morceaux de ce triptyque circassien. On la sent émue et un brin fébrile de partager avec nous le fruit de ses réflexions tout autant que le talent et les créations des jeunes acrobates. Gypsy nous parle de la douce connotation du murmure, sa résonance sonore. Elle évoque aussi la murmuration, terme utilisé pour désigner les mouvements collectifs de nuées d’oiseaux en migration dont on connaît des images célestes fascinantes. Elle rappelle que, tout comme elle, la plupart des artistes de Murmure sont des immigrantes du cirque pour qui Montréal est devenue une base idéale pour la pratique de leur métier.

Anna Kichtchenko a adapté du matériel de La chose en soi du Chita Project et évolue toute en souplesse et en finesse, vêtue de plusieurs épaisseurs de doudounes. Contrairement à l’habitude en cirque, le corps est caché, enrobé de vêtements qui lui donnent des limites à Anna, mais aussi des permissions. Le vêtement est important aussi dans le numéro au cerceau aérien d’Alexandra Royer, à la fois légère et agile dans la longue et ample jaquette qui la recouvre quasi entièrement. Elle nous réserve une chute inusitée à la fin de son numéro, et son appareil lui permet d’innover pour nous la roue cerceau, encouragée avec humour par Gypsy Snider.

Natasha Patterson et Sabine Van Rensburg ont scénarisé une pièce au rythme posé, une chorégraphie et des manipulations performées sans hâte, mais non sans élan. Deux chaises et un meuble, rapidement recouverts d’un fin plastique translucide, ainsi que des œufs et les vêtements créent une théâtralité teintée d’onirisme. Souvent en contact avec une énergie calme et concentrée, la danse acrobatique utilise aussi des œufs, qu’on retrouve dispersés sur le plancher. Les propositions de Gypsy Snider et de ses comparses sont empreintes d’une certaine sérénité et une affirmation souriante dans ; elles sont inventives et possèdent chacune leur signature particulière avec un vocabulaire acrobatique élaboré.

Nid d’oiseau – Vermicelles à la fête foraine

Dans un tout autre registre, la Croustade fait son cirque en mode ludique, avec des créations spontanées réalisées par des artistes qui se prêtent à des jeux d’improvisation pour ce deuxième volet du samedi soir. Rappelons que La Croustade présentait le 7 octobre 2023 sa première Soirée de la confiture, un mémorable happening circassien où ont dominé la spontanéité et l’inusité. Une soirée complète sous le signe du jeu et des défis acrobatiques, divisée en cinq tranches et animée par un Vincent Jutras survolté, secondé pour la sécurité par l’équipe des Compotes, menée par Éline Guélat, dite Marmelade. Le but de ce cirque joueur n’est pas la prouesse à tout prix, bien qu’elle en motive plusieurs, mais le partage de découvertes et d’imprévu avec le public. Ce concept de confiture et de rencontres artistiques, de jam, est adaptable à des événements et, adepte des métaphores alimentaires, la Croustade propose son Nid d’oiseau « al dente » au nouveau festival de l’arrondissement de La Salle. Cette fois-ci, la soirée comporte deux tranches.

La presque totalité des spectateurs et spectatrices présent·e·s auront appris un nouveau mot au début de ce Nid d’oiseau : syllogomane. La syllogomanie incite à l’accumulation compulsive d’objets hétéroclites. Le jeu du premier trio étant en manipulation et jonglerie, Isabella Majzun, Merlin Matthewson, Yohann Trépanier ont d’abord exploré chacun·e trois objets choisis parmi une décharge apportée sur scène dans une bâche. Ils se succèdent en nous présentant alternativement leurs trouvailles, l’un faisant du main à main avec un lapin en peluche, l’une manipulant un gros trophée ou l’autre s’amusant avec un coussin. Le public s’amuse en assistant en direct au processus de création de ces séquences inusitées.

« Les vermicelles vont à la fête foraine » est le titre de l’improvisation du deuxième trio à partir de la planche coréenne. Ruben Ingerwen, Guillaume Larouche et Jérémi Lévesque feront corps avec l’appareil autant qu’il leur servira pour les habituels sauts et vrilles. De longs rubans de couleur sont utilisés dans l’espace pour amener une contrainte inhabituelle chez les acrobates. La soirée se termine à cinq sur la bascule puisque Vincent Jutras, le vaillant animateur du Nid d’oiseau et Maxim Laurin, directeur artistique du festival, se joindront aux trois autres acrobates, étant eux aussi des spécialistes de cet appareil qui permet à ses adeptes de s’envoler.

Pour ces moments d’improvisation, La DJ Marie-Hélène Brousseau a fourni une variété intéressante de musiques – moins tonitruantes que lors la Soirée de la confiture. Profitons de l’occasion pour saluer la qualité du son pendant cette soirée du samedi, dans la salle aménagée spécialement pour que le public se retrouve à proximité des artistes en performance. Pendant ce Nid d’oiseau, cuisiné dans un contexte ludique, les acrobates ont tenté quelque chose de nouveau, expérimenté, improvisé et cherché devant le public pour créer des moments uniques. Une autre belle démonstration des multiples formes des arts du cirque.

Un dimanche en salle à LaSalle

Dimanche, dernière journée du festival, un trio formé de deux acrobates et un musicien, Evelyne Laforest et Stéphane Gentilini accompagnés par le multi-instrumentiste Marton Maderspach présentait En s’attendant. Après plusieurs années de travail ensemble dans différents contextes, le duo présente une petite forme avec du main à main, des portés, des équilibres ainsi que de la manipulation d’objets et de vêtements. La chimie opère entre les deux partenaires et le musicien ajoute la note d’originalité qui font d’En s’attendant un très bon moment de cirque pour le public.

En formule quintette, Marguerite à bicyclette roulait en scène La Crinoline aux chapeaux. Un couple en blanc, Pauline Baud et Frédéric Lemieux-Cormier, un autre en noir, Myriam Deraiche et Samuel Charlton ainsi que Némo Venba en musicien coloré. Portés, main à main, banquine, planche coréenne, sauts et rattrapes se succèdent dans une esthétique inspirées d’un certain théâtre de l’absurde, avec humour et panache. Soulignons en passant que cette compagnie écoresponsable, lauréate de plusieurs prix depuis sa naissance en 2021, utilise le vélo comme moyen de transport pour tous ses spectacles.

Pour une première fois en piste avec les arts du cirque, mission accomplie pour le festival Drôle d’oiseau, dont l’équipe peut être fière, avec des spectacles de grande qualité par des artistes qui ouvrent les horizons d’un futur prometteur. Souhaitons les moyens de ses ambitions à cet événement accessible qui fait connaître aux habitants de l’arrondissement de LaSalle, aux étudiants du cégep André Laurendeau et aux Montréalais·e·s les multiples formes du cirque contemporain d’ici.