Du Nord de l’Afrique au Nord de l’Amérique

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Groupe acrobatique de Tanger / photo Richard Haughton
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21 février 2020,

Questions à Sanae El Kamouni du Groupe Acrobatique de Tanger

Françoise Boudreault

« Halka » désigne la forme de théâtre la plus ancienne du Maroc. Lors de son passage à Montréal, le Groupe acrobatique de Tanger a partagé sa joie de vivre et un art circassien unique au monde, traditionnellement transmis dans les familles de génération en génération. L’une des caractéristique techniques de cette pratique, guerrière à la base, serait l’exécution de mouvements circulaires. Née en 2003, cette première troupe de cirque contemporain marocaine actualise une tradition en convoquant les spectateurs à une production conviviale et festive. Pyramides humaines, portés, sauts, main à main, banquine et musique racontent l’histoire d’une jeunesse marocaine entre modernité et tradition.

Cofondatrice avec Aurélien Bori – metteur en scène toulousain et circassien – Sanae Kamouni dirige le Groupe acrobatique de Tanger et milite pour l’amélioration des droits des artistes contemporains avec l’association Scènes du Maroc. De Tanger, dans l’effervescence des premières représentations de la plus récente création de la compagnie, FIQ !, elle a accepté de répondre à nos questions. Elle s’exprime d’abord sur les conséquences bénéfiques de l’activité de Scènes du Maroc sur les conditions de travail et de vie des artistes marocains.

« Scènes du Maroc a été créé pour porter le projet du Groupe acrobatique de Tanger et accompagner de jeunes artistes dans la réalisation et le développement de leurs projets culturels. Cela ne pouvait pas se faire sans une réelle réflexion sur la situation et le statut de l’artiste de cirque marocain. En fondant la compagnie en 2003, nous avons créé le mouvement du cirque contemporain au Maroc qui n’existait pas à l’époque. Depuis, plusieurs compagnies se sont constituées. Il a fallu plusieurs années de travail acharné pour que le cirque soit enfin reconnu en 2013 par le ministère de la culture. C’est à partir de cette année-là que nos artistes ont pu avoir leur carte professionnelle d’artiste pour être enfin reconnus par leur pays.

En ce moment, avec Scènes du Maroc nous travaillons en lien avec notre structure française Halka pour la création d’un lieu de résidence et de création pour les artistes. Un lieu qui se veut comme une plateforme ouverte, coopérative et sociale, qui permettra à tous les artistes de se rencontrer et de travailler dans d’excellentes conditions.

Aujourd’hui, tous les artistes de cirque souffrent de l’absence d’espace et de cadre légal de travail. Grâce à cet espace, les artistes pourront monter leur projet, avoir un soutien financier et administratif et un cadre légal pour exercer leur profession (couverture médicale, assurance). La création de ce lieu va renforcer la scène circassienne marocaine, aidera à consolider le réseau et contribuera à légiférer la fonction d’artiste de Cirque. »

La formation est-elle la même pour tous les membres de la troupe ?

« Notre compagnie englobe deux équipes qui travaillent sur deux projets différents : celle qui tourne actuellement avec le spectacle Halka, constituée essentiellement d’acrobates qui ont appris le métier par des maîtres traditionnels de l’acrobatie marocaine, un savoir-faire ancestral datant du quinzième siècle qui se transmet de génération en génération. Ces artistes se divisent en deux spécialités : des voltigeurs (acrobatie au sol, équilibre) et des porteurs (portés acrobatiques traditionnels marocains). Les femmes reçoivent une formation différente basée essentiellement sur la souplesse et les portés marocains. Deux musiciens berbères font partie de cette équipe.

La deuxième équipe est actuellement en création pour un nouveau spectacle, FIQ ! (réveille-toi). Cette équipe mixte se constitue de danseurs de break et de hip hop, d’un artiste qui fait du foot freestyle, d’autres qui font du Taekwondo, d’autres issus de l’école de cirque de Shmes’y et d’autres sont des acrobates traditionnels. Ils sont accompagnés par un DJ old school pendant le spectacle. L’équipe a été sélectionnée lors d’une longue série d’auditions organisées dans tout le Maroc. Ils représentent la scène urbaine actuelle marocaine et ont donc des habiletés spécifiques : acrobates au sol, équilibristes, danseurs, porteurs, footfreestyleur… »

Quelle a été la durée du processus de création pour Halka ?

« Halka a eu un processus un peu plus long que nos précédents spectacles. C’est notre première création collective. La création a pris 4 mois de travail, mais le spectacle a beaucoup évolué pendant sa première année de diffusion. Je pense que l’étape la plus importante est la dernière phase de création, c’est la période la plus cruciale. »

Le Groupe acrobatique de Tanger tourne-t-il beaucoup au Maroc ?

« La compagnie tourne au Maroc, mais malheureusement pas autant qu’en Europe. Chacun de nos spectacles est joué une fois lors d’une grande tournée marocaine. Il est très difficile pour nous de tourner au Maroc sans réseau de diffusion constitué. Chaque tournée nécessite une année de préparation. Nous devons tout organiser et surtout inventer et équiper des espaces pour y jouer. Par ailleurs, nos spectacles sont très bien accueillis par le public marocain et à chaque fois, nous ressentons une réelle attente. »

Y a-t-il une chose dont vous êtes particulièrement fière dans Halka ?

« Halka est notre première création collective, réalisée avec le regard extérieur de Abdeliazid Senhadji de la Cie XY, basée à Lille, en France. Un moment important dans la vie de notre compagnie. Je suis très fière des artistes et de toute l’équipe qui veille sur ce projet, fière d’avoir pu relever ce beau défi et d’avoir travaillé dur pour que ce spectacle puisse évoluer encore et encore, accueillir de nouveaux artistes et continuer à le présenter partout, même dans des pays très lointains. »

Quelles sont les perspectives pour les artistes à la fin de cette aventure ? Sanae El Kamouni espère que le projet du lieu permettra à leurs artistes à la fin de leurs parcours d’enseigner et de former les futures générations.