« Instable » – Exprimer beaucoup avec peu

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Nicolas Fraiseau dans "Instable" - Photo de Tomàs Amorim
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3 décembre 2021,

Françoise Boudreault

Basée à Paris, la compagnie Les hommes penchés visite Montréal pour la première fois. Depuis sa fondation par Christophe Huysman en 1995, la compagnie intègre des acrobates et des techniciens autant que des comédiens ou des plasticiens qui échangent et expérimentent pour créer. Alors qu’en théâtre les monologues, soliloques et autres seul·e·s en scène sont plus courants, ils sont moins fréquents en cirque. Au même moment où Anouk-Vallée Charest (Battements de cirque) présente son solo Waves à la Maison de la culture Claude-Léveillée, la première québécoise d’Instable par Les hommes penchés a lieu à la TOHU.

Mater le mât

Au milieu de l’espace il y a un plancher surélevé – fait avec des feuilles de contre-plaqué 4 x 8 -, sous lequel il y a des pneus et on en retrouve aussi sur les côtés ; de grandes vis dépassent ça et là. Il y a aussi des cordes, des ancrages au sol et un mat en deux parties. C’est tout. Minimal. Arrive un gars habillé en mou, genre coton ouaté, avec des espadrilles d’acrobate. Il inspecte les lieux, prend contact avec l’assistance, marche sur le plywood, constate l’instabilité du plancher et rajoute un pneu par ci, par là. Puis il va chercher le mât dont nous assistons à l’érection au fil d’essais, de drôleries, cascades, tours de force ou d’agilité. L’acrobate prend le temps d’installer son jeu ou ses prouesses, de tenter et de rater aussi, de tomber, de se relever et de recommencer. Il s’entête et persévère.

Nicolas Fraiseau propose un art sans artifices dans une scénographie avec des matériaux que tous connaissent. Une performance à l’état brut avec une dose d’humour appréciée du public. Les séquences au mât sont complexes et la plupart des mouvements au sol exigent une grande dépense d’énergie. Le risque reste présent tout au long du spectacle à cause de l’instabilité des éléments scéniques. Maladroit au début, l’acrobate devient une sorte de dompteur que nous suivons dans ses péripéties pour accomplir des figures acrobatiques où il doit composer avec les aléas de la matière et de la gravité. La chorégraphie évolue avec l’installation, même le plancher se gonfle pour devenir une tumultueuse mer de bois que défie l’acrobate, obstacle supplémentaire qui ne l’empêche pas d’atteindre son but.

Pas de paillettes, ni de flaflas. Pas de distractions, juste le public et l’artiste, qui sourit ou qui se concentre sérieusement sur ses gestes. Selon l’action, le silence est habité par les bruits : mat métallique qui tombe sur le bois ou le ciment, grincement des planches sur lequel marche l’acrobate, par exemple. Pas de musique mais d’intéressants effets sonores comme des grondements sourds ou des craquements amplifiés qui semblent provenir de sous le plancher et ajoutent une tension dramatique.

À la fin, quand l’éclairage s’éteint, on a assisté à un très bon spectacle qui dit beaucoup avec peu en moins d’une heure, que les enfants apprécieront pour le comique de la lutte d’un humain bravant les implacables lois de la physique. Une petite forme de cirque contemporain avec une ligne directrice simple et une solide dimension acrobatique, un spectacle comme on a rarement l’occasion d’en voir à Montréal.