Françoise Boudreault
Tels des gamins pleins d’énergie dans une cour d’école à la récréation, les boys d’El Nucléo entrent en scène en se bousculant amicalement, en riant, en se parlant entre eux. Cinq Colombiens et un Sarde enchaînent comme un jeu des séquences qui fusionnent main à main, portés acrobatiques, banquine et acrobatie au sol. Peu théâtral avec des interprètes qui sont eux-mêmes, le titre le dit bien, Somos porte une charge affective, notamment dans la relation que la troupe crée avec le public. L’environnement sonore prenant amène diverses ambiances, souvent toniques, parfois sombres, parfois avec une intention comique.
À vue, les structures de l’éclairage délimitent l’espace acrobatique, dégagé au début, que vient encombrer une pile de tapis sur laquelle évolueront les acrobates qui les disposeront pour recouvrir le plancher. L’éclairage très présent et sans couleurs donne un rôle quasi graphique aux spots, cercles lumineux alignés. Parfois dirigé vers le public qui devient visible par les personnes sur scène, il nous montre aussi les acrobates comme des silhouettes mouvantes à contrejour.
Les acrobates manipulent et se lancent plusieurs petits sacs remplis de magnésie, utiles pour leur acrobatie, qui font d’esthétiques petits nuages ; ils deviennent aussi des projectiles pendant qu’on entend des bruits de fusillade et on en donnera même aux spectateurs pour qu’ils les lancent à leur tour. On s’attend d’ailleurs à voir avec ces objets une séquence de jonglerie ou de manipulation, vu le talent en présence.
Un noyau et ses électrons
Somos offre de belles trouvailles autant dans la prestation du duo original, formé par Edward Aleman et Wilmer Marquez, que dans l’écriture avec six acrobates, quand un porteur devient porté par exemple ou lorsque le voltigeur glisse, en équilibre sur les mains, des épaules du porteur jusqu’à ses mains. Une scène débutant par un des interprètes qui parle au public en langage des signes, rejoint par les autres qui refont ses gestes, se transforme en chorégraphie de groupe très réussie.
Troisième volet d’une trilogie après Quien soy – à MCC en 2017 – et Inquiétude, le spectacle présenté à la TOHU conjugue exclusivement au masculin, il faut bien le dire, le cirque et la quête identitaire. Somos clôt un cycle pour la compagnie El Nucleo, en même temps qu’elle ouvre une nouvelle ère avec quatre compères s’ajoutant au noyau initial.
Basée en France, la compagnie a développé depuis 2011 des amitiés artistiques et pour la création de Somos et sa venue à Montréal, El Nucleo a bénéficié du soutien de seize partenaires de création. En 2017 à MCC, on a aussi vu le duo Aleman-Marquez dans la pièce Warm mise en scène par David Bobée, metteur en scène français qui dirige le Centre Dramatique National Normandie-Rouen auquel a été associé El Nucleo de 2014 à 2017. La structure qui accueille des créateurs de cirque bénéficie d’une main d’oeuvre pour d’éventuelles productions en plus d’ajouter un élément d’intérêt à sa programmation, non seulement pour amener du nouveau public mais pour apporter du nouveau au public qui fréquente déjà un lieu.
Depuis quasi deux décennies, le duo Aleman-Marquez a élaboré un style unique (le porteur est plus petit que le voltigeur) et ces deux acrobates agissent ensemble en scène avec une aisance et une maîtrise qui font plaisir à voir. Sous des apparence de désinvolture par moments, Somos respire la joie d’être ensemble de ces acrobates d’exception qui, pendant leur enfance en Colombie, n’osaient pas rêver d’exercer leur métier comme ils le font aujourd’hui en France. À apprécier pour le savoir-faire acrobatique et l’énergie complice des performeurs.
Galerie d’art acrobatique
La troupe de La Galerie est composée de six hommes et deux femmes, l’une acrobate et l’autre musicienne. L’ingénieuse scénographie de la récente création de la québécoise Machine de cirque vient ajouter du piquant aux diverses disciplines en scène : portés acrobatiques, main à main, banquine, roue allemande, barre russe, jonglerie. Avec un premier tiers clair et lumineux, La Galerie passe par une séquence plus sombre pour se terminer par l’ajout de couleurs avec une peinture exécutée en direct par Pauline Bonnani rejointe par William Poliquin-Simms. Parions qu’au fil des représentations, la physicalité circassienne qui particularise la réalisation de ce tableau sera plus marquée. Création ludique, La Galerie impressionne avec ses interprètes talentueux à souhait et mérite bien l’accueil enthousiaste du public.
Il reste encore peu représentations pour voir ces deux spectacles. Faites vite !