Françoise Boudreault
Okidok a fait son chemin depuis ses origines adolescentes. En 2006, ce désopilant duo clownesque a présenté une première fois HA HA HA, à l’affiche à la TOHU pendant les fêtes cette année. Créé il y a presque un quart de siècle par Xavier Bouvier et Benoît Devos, le spectacle mûrit bien. De retour à Montréal, les deux Belges font rire et sourire le public familial.
Élèves à l’École nationale de cirque de Montréal, du temps de l’ancienne gare Dalhousie, de 1995 à 1998, ils ont été formés par Don Rieder et Michel Dallaire, entre autres. Ils se sont rencontrés presque par hasard pendant leur jeunesse. À cette époque, au festival de cirque amateur de leur ville, n’importe qui pouvait présenter un numéro. Benoît savait jongler, Xavier aussi, et les deux ados dans la douzaine décident de faire le leur, « juste pour déconner ». Ils ont poursuivi leur collaboration toute leur adolescence, puis au-delà, jusqu’à aujourd’hui : « On avait envie de continuer de se former. Après avoir fréquenté des écoles comme celle de Jacques Lecoq, on a tenté le concours à Montréal. Avec l’envie de faire rire, on était attirés par les techniques de cirque mélangées avec le théâtre et le clown. On mélangeait la jonglerie et la magie où tu dois être excellent. Si tu fais rire les gens, tu arrives sur un autre terrain : le spectacle reste très agréable à regarder, mais tu es performant ailleurs. On avait comme genre de mentor un clown, qui a mis en scène notre premier numéro, il nous a dirigés vers ça et d’une certaine manière on a pas réfléchi. Faire rire était le fil conducteur. » avoue Xavier Bouvier.
De casiers de bières aux boîtes en carton
L’univers de l’art clownesque est vaste et la création d’un numéro prend sa source dans des influences et des événements propres à cette pratique artistique. Xavier Bouvier raconte : « Adolescents, on a vu la troupe des Licedei, avant qu’ils n’aillent au Cirque du Soleil ; ils faisaient un spectacle avec Slava Polunine, avant le Slava’s Snowshow. Après avoir vu ces numéros, on a eu envie de se glisser dans cette esthétique et dans cette écriture pour les numéros de HA HA HA. On travaillait par numéro parce que c’est ce qu’on apprenait à l’école de cirque. L’idée d’un numéro peut arriver au hasard, comme pour celui des boîtes en cartons. On avait fait un corpo pour l’inauguration d’une usine de bière achetée par Stella Artois, après la guerre en Bosnie Bosnie-Herzégovine. Il y avait des casiers de bières et j’ai commencé à les empiler, à les faire tomber. C’est chouette comme objet, on peut monter dessus par exemple, mais ce n’était pas pratique pour la tournée. Les cartons, on peut les plier et ils donnent d’autres possibilités : passer à travers, entrer dedans, s’y cacher. L’idée de ce numéro est venu au hasard d’une improvisation.. »
Une fois les numéros créés, ils sont autonomes, font leur chemin dans divers contextes, prêts à faire l’objet d’un assemblage. Xavier poursuit : « HA HA HA c’est quelques années de travail en corpos ou dans des spectacles avec d’autres compagnies où pas mal de numéros sont nés. Comme clowns physiques, on fait du théâtre gestuel. Au départ, c’est souvent l’idée d’un objet, d’une mécanique, et chez les clowns il faut avoir une idée simple, les clowns ont un seul objectif : faire une tour avec des boîtes ou encore passer à travers une porte… On brode sur l’idée de départ. »
Depuis la création de HA HA HA, les deux compères ont visité plusieurs pays et si les enfants réagissent semblablement, ce n’est pas le cas des adultes. Benoît Devos l’a constaté : « On a joué à Tokyo il y a une quinzaine d’années et au Japon, le rapport à l’autorité est différent et il est codé autrement. » Xavier Bouvier ajoute : « Les clowns rient du rapport à l’autorité. Mais au Japon, on peut être mal à l’aise parce que c’est perçu différemment. Dans certaines parties du spectacle, qui fonctionnent très bien ailleurs, c’était silence dans la salle. Cette culture est plus difficile à appréhender concernant des rapports de pouvoir. Mais on s’est rendus compte qu’on a une base commune. On a l’impression que tout ce qui fait rire les enfants jusqu’à douze ans, c’est pareil partout. Peut-être que la culture vient après, ou à partir de l’adolescence… »
Épurer et travailler les formes
Les costumes de HA HA HA sont particuliers. Contrairement à ceux des autres spectacles d’Okidok, ils sont pâles, couvrent presque tout le corps et celui de Benoît Devos, très ample, rappelle une tenue de clown traditionnelle (appelée « sac »). Dans les éclairages, ces costumes et les attitudes des clowns évoquent presque Beckett ou l’esthétique de certains clowns slaves. Ce sont les formes qui ont guidé le choix des costumes. Xavier Précise : « Avec son grand pantalon, Benoît avait l’idée d’un sketch où il en sortait un ballon et des objets. Dans un dessin animé de notre enfance, personnage du Capitaine caverne, avait une grande barbe d’où il sortait un éléphant autant qu’une voiture. Pour mon premier costume, j’avais les bras nus, pour une forme plus allongée, pour exagérer une ligne verticale.
On voulait de grandes chaussures dans HA HA HA, en hommage au clown traditionnel. Pour les couleurs, c’est une époque aussi, on a fait le spectacle en 2000, il y a presque 25 ans. On parle du nouveau cirque depuis les années 80. Il y a eu des modes pour les clowns : dans les années nonante, plusieurs enlevaient leur nez rouge, qui faisait penser au cirque traditionnel. Dans le nouveau cirque, on enlevait des choses. Le Cirque Plume était une référence : on voulait quitter le cirque traditionnel, écrire des numéros différents qui ont finalement gardé des choses du cirque traditionnel et en ont inventé de nouvelles.
Dans la forme du clown, on a enlevé ce côté bariolé des clowns plus américains, comme chez Barnum où il y avait toutes les formes et les couleurs. C’était pas bien connoté pour nous, il y avait cette mauvaise image des clowns McDonald, les clowns d’anniversaire… On avait envie de revenir au maquillage parce qu’on avait vu Slava Polunine, cette écriture qu’on trouvait belle. On a voulu laver ce surplus de couleurs pour garder seulement les maquillages et les grosses chaussures comme signifiants et épurer, travailler uniquement sur les formes. »
Répertoire de la scène à la rue et vice versa
Okidok a réalisé plusieurs spectacles, tous encore offerts par la compagnie, dont Les ChevalierS ou l’hilarant Slips Inside, présenté à la TOHU en 2011. Xavier Bouvier parle de leurs créations passées et de la plus récente : « On n’arrête jamais un spectacle, c’est notre répertoire, comme les clowns traditionnels. Il y a des mimiques, des lazzis entre les personnages, qu’on utilise d’un spectacle à l’autre, si on retrouve un peu le même rapport mais dans un autre univers. On a un spectacle avec des acrobates en bobettes. Un autre avec histoire de chevaliers un peu farfelue. »
Leur création, In Petto existe depuis récemment en scène : « On a fait deux saisons en rue et maintenant on travaille en salle ; on a rajouté des numéros et l’écriture est un peu différente. On ira peut-être au festival d’Avignon pour lancer In Petto sur le marché français et européen. »
De la rue à la scène et de la scène à la rue, quelle est la différence entre l’une et l’autre pour les clowns d’Okidok ? « La rue force à être efficace répond Xavier. T’as pas le choix. C’est en jouant avec le public que t’entend où sont les rires et que tu trouves la bonne dynamique d’une scène ou d’un gag. On peut imaginer que la chose est drôle quand on répète en studio, mais il faut toujours la mettre à l’épreuve du public. Dans la rue il n’y a pas d’artifices, pas de jeux de lumières, certains rajoutent de la musique, mais nous on va vers quelque chose de très cru qui peut jouer un peu partout. La rue te force à aller à l’essentiel. À travailler deux ans en rue, on trouve la moelle des numéros et l’écriture la plus simple et la plus efficace. En salle, on embellit les choses en ajoutant des moments plus fins et plus poétiques qui seraient plus fragiles en rue. »
La perception des clowns varie. Certaines personnes les aiment et d’autres en ont une image bizarre qui leur vient d’un film, d’un livre, d’un dessin animé ou d’un clown à ballon. Mais Okidok propose un duo qui parle à tous et à toutes avec deux clowns à la fois déjantés et sensibles, acrobates et rigolos. Xavier Bouvier conclut : « Les familles passent un bon moment parce que chez les clowns, l’écriture hors du temps crée un spectacle poétique qui les touche. Hier on a parlé avec un grand-père qui était avec ses enfants et ses petits enfants ; il était très heureux. C’est assez simple : on est contents que les gens continuent à venir nous voir. »
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En complément : vidéo fantaisiste expliquant la démarche de création du plus récent spectacle d’Okidok, In Petto.
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