Françoise Boudreault
Le spectacle débute dans la pénombre avec le chant d’une voix au filet suave. La mélodie est prenante et l’inuktitut, langue si peu familière à nos oreilles, a des inflexions et des textures fascinantes.
Au Théâtre autochtone du Centre national des arts (CNA) d’Ottawa avait lieu le 9 janvier la première mondiale d’Unikkaaqtuat, alliance des forces de la compagnie Artcirq d’Igloolik, de Taqqut Productions d’Iqaluit et des 7 Doigts de Montréal. Pour raconter une dizaine de légendes anciennes et de mythes fondateurs de la cosmogonie inuite, le chant, la musique, s’amalgament au théâtre, au cirque et aux animations très réussies, réalisées par Taqqut à partir des magnifiques illustrations de Germaine Arnaktauyok, également dramaturge et conseillère à la mise en scène. La musique constitue un part importante de cette œuvre avec en scène les chanteuses Christine Tootoo et Charlotte Qamaniq que viennent appuyer de leurs voix et guitares Joshua Qaumariaq et Terence Urayak. Les interprètes proviennent en majorité du Nunavut et certains d’entre eux ont déjà collaboré avec Les 7 Doigts dans le Projet Fibonacci. Comme Patrick Léonard des 7 Doigts visite ponctuellement Igloolik et Artcirq depuis 2002, il s’agit donc des fruits des liens créatifs tissés au fil des années.
Le séjour à l’hôpital d’un jeune homme du Grand Nord sert de liant aux tableaux poétiques d’Unikkaatqtuat dans une temporalité lente au début, en phase avec le climat et la géographie arctiques. Par la suite, l’énergie des scènes comme celle des jeux acrobatiques nordiques nous propulse dans une dynamique qui s’allie bien avec le cirque.
Espace-temps blanc
L’esprit nordique de ces “histoires des temps anciens” a inspiré les concepteurs et la troupe pour de bonnes trouvailles comme ce traîneau de bois qui devient un agrès de cirque ou les ombres chinoises, idéales pour imager un géant, par exemple. Ou encore ce personnage surprenant qui grandit très haut jusqu’à ce que, sous le costume, Guillaume Ittukkssarjuat Saladin soulève Marjorie Nantel au bout de ses bras. Si les conditions de vie des peuples autochtones et les mythes fondateurs inuits ont parfois une dimension tragique, cela n’empêche pas un humour malicieux et un regard souriant sur les choses, autres atouts de la culture nordique aussi présents dans le spectacle.
À la fin de la pièce, où la langue et les mots ne sont pas des repères dramaturgiques pour ceux qui ne comprennent pas la l’inuktitut, le spectateur dépaysé revient d’un voyage en territoire artistique contemporain où se rejoignent le passé et le présent. Le Théâtre autochtone du CNA inaugure bien la nouvelle décennie avec cette rare et originale création, heureux métissage des arts entre eux et du nord au sud ou vice versa. Unikkaaqtuat mérite une longue vie et souhaitons qu’elle porte au loin une parole, un esprit et un savoir-faire authentiques. Souhaitons à ses artisans de continuer à faire des rencontres artistiques enrichissantes ; que l’ours polaire, le lièvre acrobate et le corbeau échassier voyagent sur de nouveaux territoires partout sur la planète. Que ces images aux êtres flottants, dans un ciel parfois habité par les aurores boréales accompagnent encore longtemps ces voix nordiques et cette langue malheureusement si inhabituelles à nos oreilles.
Tous les crédits d’Unikkaatqtuat.
Unikkaatqtuat sera en tournée au Canada pendant les prochains mois.
Qui est Germaine Arnaktauyok?