Françoise Boudreault
Avec deux fins de semaine de cirque aérien, la TOHU souligne son vingtième anniversaire après le quinzième du festival Montréal Complètement Cirque. Les Week-ends aériens adoptent une vision large de l’aérien : dans le ciel sur un fil ou pratiqué avec une multitude d’appareils acrobatiques, en grande ou moyenne hauteur, incluant des disciplines comme la suspension capillaire. Autre dimension aérienne de l’événement : les familles expérimentent les arts aériens lors d’ateliers de cirque.
En plus de la traversée transcendante du funambule Laurence Tremblay-Vu, les Week-ends aériens produisent un cabaret sous chapiteau. S’ajoutent d’autres activités circassiennes au parc urbain de la TOHU: animations, numéros d’acrobatie, service de bar, expositions, projections de films. Redisons d’entrée de jeu que la traversée de Laurence Tremblay-Vu vaut le déplacement. Gratuit en plus. Les funambules de ce calibre sont rares, ne ratez pas cet événement magique qui fait tourner les têtes vers le ciel.
Airs d’anniversaire
Avec une distribution tout étoiles, Marie-Josée Gauthier a mis en scène une soirée de cirque dans le ciel du grand chapiteau de la TOHU. Joliment appelé Cabaret du soir qui vole1 par le maître de cérémonie, le spectacle réunit des numéros presque tous proposés par des compagnies d’ici : le Cirque Éloize, Projet Sanctuaire, Le Monastère, Girovago et le Cirque du Soleil. Sauf celui d’un artiste de la relève, les numéros choisis par la metteure en scène sont interprétés par des acrobates accomplis. Le décor est léger et le fond de scène figure des oiseaux ; une pente légère, côté cour, évoque une piste de décollage. L’espace dégagé donne toute la place à l’aérien.
Les artistes brillent, étoiles filantes du cabaret des Week-ends aériens. Tous⸱tes s’envolent bel et bien, avec leurs couleurs particulières. La multi-instrumentiste Regina Reichherzer nous étonne et contribue avec sensibilité et vivacité à plusieurs numéros. À la suspension capillaire toute en contorsions de Lea Kral s’ajoute l’expressivité de ses inimitables mimiques. L’étonnante Alexie Maheu virevolte agilement au mât chinois, comme en apesanteur. Le médium Danny Devine, personnage bien assumé d’Aubin Constanceau, porte d’incroyables pantalons pattes d’éléphant tricotés rose. Il nous amène dans un rituel divinatoire avec ses sangles aériennes, des textes rigolos et des fouettés qui finissent en saltos. Arthur Morel Van Fyfe évolue avec aisance et un style empreint d’intériorité dans un appareil inusité de son invention : le prisme aérien. L’excellent Guillaume Paquin utilise habilement sa corde en V pour ajouter des lignes dans le dessin de sa chorégraphie acrobatique. Le cabaret se termine avec un numéro dans un chariot porte-bagage, interprété par une Priscilla Dellazizzo rayonnante, sur une musique de Saltimbanco du Cirque du Soleil, que plusieurs reconnaissent et même fredonnent.
La forme du cabaret permet d’apprécier des créations de courte durée, souvent diverses, reliées par un maître ou une maîtresse de cérémonie, alias MC, rôle qui contribue fortement à la signature d’un cabaret. Dans ce cas-ci, le personnage de Renaldo est un peu l’alter ego latino de l’interprète. Renald Laurin est toujours juste ; c’est un hôte souriant, alerte et à l’écoute de ses comparses, tout comme de son abuelita avec qui il converse au téléphone entre deux numéros. Cet artiste a connu les débuts de l’École nationale de cirque et exerce son métier depuis plusieurs décennies, avec la prestance d’un circassien expérimenté. L’animation s’est construite en mode écriture de plateau, à travers le jeu, avec la musicienne Regina Reichherzer, et Renald Laurin qui a collaboré à la mise en scène. Les deux nous servent d’ailleurs un florilège de chansons sur le thème des oiseaux et de l’aérien. Notons que le cabaret a bénéficié de la contribution de concepteurs de calibre comme Véronique Thibault, coach en performance aérienne, ou Stéphane Ménigot, concepteur d’éclairage et scénographe.
Le thème du cabaret appelle les envolées. Au Cabaret du soir qui vole, elles sont toutes de haut niveau et laissent de belles images en mémoire.
Un certain aérien québécois
Plusieurs acrobates aérien⸱ne⸱s québécoise⸱s ont marqué l’imaginaire. Ainsi, les jumelles Steben, Karyne et Sarah, ont créé un numéro sensationnel, vu dans Saltimbanco du Cirque du Soleil à partir de 1992. En plus d’inventer des mouvements, elles ont développé dans leur duo de trapèze ballant une technique de chute de pieds peu pratiquée à l’époque. À partir de la fin du 20e siècle, on assiste au Québec à un essor de l’acrobatie aérienne. Les écoles de cirque forment des acrobates aériens et embauchent des entraîneurs. Parmi ces derniers, trois formateurs en aérien ont marqué le cirque au Québec.
La trapéziste Marie-Thérèse Lessard, fondatrice de l’école d’acrobatie aérienne le Nœud d’erseau (1979-2001), a collaboré à la création de nombreux numéros – dont un mémorable trio trapèze – et à la formation de plusieurs acrobates et artistes, dont certain⸱e⸱s sont devenu⸱e⸱s enseignant⸱e⸱s. Élève de la Française Andrée Jan, qui exécutait son numéro sous hélicoptère sans sécurité, Marie-Thérèse Lessard s’est distinguée en performant avec une longe sous une montgolfière.
L’entraîneur André Simard, issu du monde de la gymnastique, a formé et accompagné des aériens québécois. Il a contribué à la notoriété internationale de l’École nationale de cirque de Montréal avec le tango au trapèze du duo Mouvance2 et le numéro de trapèze d’Anne Lepage3, premiers élèves de l’École médaillés au Festival Mondial du Cirque de demain. Il fonde également le Studio de création Les Gens d’R, un véritable incubateur aérien pour la formation, la création de numéros autant que d’appareils. On lui doit la conception du fameux bateau de « Ô » du Cirque du Soleil et l’invention de l’autolonge élastique sécuritaire.
Autre figure importante en aérien, Victor Fomine enseigne à l’École nationale de cirque de Montréal et plusieurs de ses élèves se sont distingué⸱e⸱s à travers le monde. Originaire de Russie, il est établi au Québec en 1993 et opère depuis 1997 son Studio Léotard où il donne des formations pour des acrobates qui y viennent en provenance de toute la planète. Reconnu et estimé, Victor Fomine a obtenu en 2023 le prix reconnaissance d’En Piste attribué par le vote des membres du regroupement national des arts du cirque à 3 personnalités du milieu.
L’histoire d’amour entre le Québec et l’aérien s’incarne aussi dans les Rencontres aériennes de la Casernes (RAC) depuis 2016, interrompues par la pandémie et devenues les Rencontres aériennes de Montréal (RAM) . Événement aérien montréalais initié par Aurélie Tenzr à La Caserne de cirque dans Hochelaga, ces rencontres sont basées sur les échanges et les formations avec des discussions et des conférences. Pendant le congé pascal de 2024, le Cirque Hors Piste est devenu l’hôte de cette fin de semaine d’apprentissage et de partage en communauté.
Oui, il faut le célébrer sur terre et dans les airs, Montréal a raison de se donner des airs de cirque avec une TOHU dans la vingtaine, la fleur de l’âge !
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1 – Un clin d’oeil à l’iconique émission « Le cabaret du soir qui penche », animée par Guy Mauffette, de 1960 à 1973 sur les ondes de Radio-Canada.
2 – Formé de Hélène Turcotte et de Luc Martin.
3 – Anne Lepage enseigne actuellement à l’École de cirque de Québec.